« L'Isabelle eut Petit Jean, un si beau bébé, Elle mourut de chagrin, loin de son enfant. »
Parmi les invités, il y avait ceux qui savaient pour cette fameuse Isabelle et ceux qui en entendaient parler pour la première fois.
La cousinade avait trouvé un rythme bon-enfant, le vin de Bourgogne aidant, l’atmosphère se réchauffait. Avec la chanson que l’on venait de découvrir, des vagues de questions se mirent à traverser l’assemblée, une onde qui allait s’amplifier au cours de la journée.
Augustin Massé et Marie Domino avaient eu trois filles, plus une. Trois filles, plus une. Isabelle. Tous les descendants des filles Massé s’accordaient là dessus. Le premier verrou du secret de l'effacée avait cédé.
Mais qu’en était-il des autres qui entouraient Isabelle ?
Les cousins changeaient de table, au gré des rencontres, chacun faisant plus ample connaissance avec les autres. La récolte d’informations allait bon train. Il va sans dire qu’un sujet aussi tabou ne pouvait pas être abordé frontalement. Nous devions prendre des précautions, évoquer le sujet par un chemin détourné. Le sujet en question, notre Isabelle, apparaissait comme un lointain fantôme dont l’image floue, finalement, ne demandait qu’à être révélée. Cependant, au fur et à mesure que l’on glanait des informations, il fallait trier le vrai du faux.
— Elle a eu un fils, donc, un certain Jean ?
— Oui. Mais faut pas le confondre avec l’autre Jean, le fils unique de Paul. C’est pour ça qu’on l’appelle Petit Jean. Il est né quand, déjà ?
— En 1917. Isabelle avait… vingt deux ans.
De fil en aiguille, de question en interrogation, des éléments de l’histoire faisaient surface et tant bien que mal s’ajustaient, confirmés par « ceux qui savaient », ou croyaient savoir...
Marie Domino avait chassé sa fille de la maison alors que l’Augustin aurait été contre. Il n’aurait pas eu à donner son avis. Marie, semble-t-il, avait son caractère. Et certains de la famille d’ajouter : c’est une histoire de femmes qui s’est réglée entre femmes. Marie avait gardé auprès d’elle l’enfant d’Isabelle. La jeune maman en serait morte de tristesse. Augustin, face à cette tragédie, aurait été submergé par le chagrin, il n’aurait pas supporté, il en serait mort.
Selon les souvenirs de certains des invités, Augustin semblait accorder sa préférence à l’aînée de ses filles. Cela aurait été rapporté par Gabrielle, la sœur cadette, qui ne manquait pas de répéter qu’entre Isabelle et sa mère une certaine rivalité s’était installée... Gabrielle en avait-elle été jalouse ? Les versions divergeaient un peu selon les interlocuteurs.
Mais ils se rejoignaient tous pour évoquer le chagrin comme la cause de la mort d'Augustin. Nous étions sceptiques : Entre la mort d’Isabelle et celle d’Augustin, six ans s’étaient écoulés. Si c'était le chagrin qui avait causé la décès d'Augustin, c'était une mort bien lente…
Résumons. Petit Jean avait grandi auprès de sa grand-mère. L’enfant n’aurait jamais revu sa mère. Et Isabelle serait morte loin de lui, emportant avec elle le secret de sa paternité. Car évidemment, il était une question qui brûlait toutes les lèvres en cet après-midi ensoleillé, une question sourde qui se propageait de table en table : mais qui donc était le père de cet enfant ?
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