Revenons à notre cousinade. Isabelle était donc mariée à François Dupaquier. Alors, l'honneur était sauvé ?
Robert qui, depuis le début nous avait raconté bien des choses, aurait préféré cette version. Il aurait préféré qu’Isabelle soit mariée. Que le petit ait un père. Quelle tristesse, un père tué à la guerre... Mais quelle belle histoire à raconter ! Robert préfère les belles histoires. Quitte à se mentir un peu. Il est sincère, Robert. Il croit vraiment à cette version avec Dupaquier pour mari. Plus de honte, plus de lourd secret.
On s’arrange tous avec notre mémoire. Il est bien pratique de pouvoir ainsi travestir le passé. Cela évite les confrontations avec ses valeurs ou avec ses croyances. Cela évite d’avoir à les questionner. Et si cette valeur, cette valeur qui m’a construit toute ma vie, cette valeur qui a contraint voire entravé mes actions jusqu’ici, et si cette valeur ne méritait pas que je la respecte autant ? Bigre. Diantre. Surtout pas !
Il est plus facile de s’arranger avec l’histoire. Et de se laisser aller à y croire. Comment ? Cette Isabelle a eu un enfant sans être mariée ? Non, non, elle devait être mariée. Je crois même que je m’en souviens.
Certes, Isabelle était mariée. Hélas pour Robert, certaines dates allaient l’obliger à ouvrir les yeux. À l’une des tables, le pot aux roses fut vite découvert.
— Mais non, Dupaquier ne peut pas être le père ! Ça ne colle pas. Isabelle et François ont été mariés quelques mois seulement. François Dupaquier est mort l’année même de son mariage, en 1914. Or, Petit-Jean naît en 1917. Trois ans se sont écoulés. Trois ans de grossesse ? Non, c'est impossible. Ou alors c’est l’œuvre d’un fantôme.
François Dupaquier, le défunt mari, venait brutalement d’être écarté comme candidat à la paternité.
L’enfant était né d’une “ fille-mère”, on comprenait mieux la chanson entonnée tout à l’heure. Qui était le père de cet enfant né en 17 ? Le mystère restait entier, mais la journée n’était pas finie.
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